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Peut-on en faire « trop » ?

Je n’avance plus…

Une question qui revient souvent en boutique est celle du plateau en entraînement : « je ne sais pas pourquoi, je n’avance plus. Et pourtant, la semaine dernière, j’avais l’impression de voler »… Que s’est-il passé pour que vous en arriviez là ?

Pas de panique! Vous n’êtes peut-être peut-être pas en train de vous surentraîner. Le surentraînement est le produit d’un « débalancement entre charge et récupération vécu sur le long-terme »1 et met énormément de temps à disparaître. Cela dit, votre état traduit peut-être un des symptômes associés à ce phénomène et nécessite donc toute votre attention.

Comme nous en parlons dans un précédent texte, le fait d’augmenter la fréquence, l’intensité, le temps et les types de pratiques sont des moyens d’éviter la stagnation. À condition bien sûr d’éviter la surdose et d’alterner les cycles d’entraînement intenses avec des périodes plus basses en intensité et en volume.

Sous cette question réside une préoccupation plus centrale… celle qui nous alerte à partir du moment où l’on en vient à en faire « trop ». Qu’est-ce que ça veut dire exactement, en faire « trop » ?

 

Se « reposer » au travail

Dans un précédent dossier sur le volume et l’intensité en entraînement, Daniel Mercier nous alertait sur la tentation d’accumuler beaucoup, beaucoup (trop) de volume dans notre sport préféré. En effet, il arrive que certaines personnes, comme vous et nous, sportives et passionnées mais néanmoins amatrices s’entraînent, parfois à tort, autant que les athlètes professionnels.

Dans notre enthousiasme sportif débordant, aurions-nous oublié un aspect des plus cruciaux de la gestion du temps? Contrairement aux pros, qui n’ont que ça à faire de leur temps – s’entraîner – vous et nous avons une vie à côté (famille, études, travail, etc.).

Paradoxalement, ce qui constitue en quelque sorte notre identité – notre famille, nos études, notre travail, le temps qu’on y met – prend soudainement une place moins importante lorsqu’il est question d’entraînement. Et pourtant, c’est dans ces secteurs que nous passons le plus clair de notre temps. Et c’est souvent par-là aussi que passe la récupération sportive : qui n’a jamais entendu le ou la collègue qui, après un marathon durement achevé, va lancer à la cantonnade qu’il ou elle ira « se reposer » au travail le lundi suivant?

 

 

Profession : « gens normaux »

Contrairement aux gens normaux, les sportifs professionnels n’ont très souvent personne d’autre à s’occuper qu’eux-mêmes. Et encore… certains disposent qu’une équipe de soignants qui les prennent en charge du début à la fin de leur cycle performatif. Leur activité principale, c’est « athlète ». Nous, la très grande majorité d’êtres humains qui reste, nous sommes « étudiant, père, mère, travailleuse, personne de métier ».

Le terme « sportif » vient souvent après, pour nous caractériser, préciser à qui l’on a affaire. Cependant, cette distinction d’avec les pros est importante, sinon LA plus importante : nous, les amateurs, on fait du sport dans nos temps libres. Au même moment qu’une grande partie des gens va se reposer, nous les « gens normaux », on sort dehors faire du sport.

 

Attention! Le message ici n’est pas d’arrêter de faire du sport dans vos temps libres. Non.

Le message, c’est que trop peu de « gens normaux », vous et nous, qui pratiquons du sport passionnément en tant qu’amateurs, sous-estimons la récupération nécessaire pour le niveau d’entraînement auquel nous nous soumettons. 

 

« La récupération fait partie de l’entraînement et donc de la progression… »

 

Dans notre dossier sur le volume et l’entraînement, Daniel Mercier insiste sur la « pizza toute garnie », que nous avons reproduite ci-dessous. Celle-ci propose une manière de doser l’intensité d’entraînement une fois défini le volume d’activité physique hebdomadaire total.

Ce qui n’a peut-être pas été précisé dans la pizza de Daniel Mercier, c’est que ce volume, il constitue la partie en mouvement… Pas la partie récupération, essentielle au principe de surcharge et donc d’adaptation musculaire et physiologique… et donc de performance.

Certes, certaines activités sont moins intenses que des intervalles en course à pied ou la montée de Jay Peak à vélo, comme le yoga ou le renforcement musculaire. Elles constituent tout de même une part de la pizza et n’entrent pas dans ce qu’on pourrait qualifier de « récupération » à proprement parler. Et pourtant, celle-ci est non seulement essentielle, mais elle constitue un des éléments clés de la progression.

Repenser l’entraînement

Aurait-il fallu insister sur l’ajout d’une tranche supplémentaire, celle attribuée à la farniente? Même si aujourd’hui, nous avons accès à un nombre grandissant d’informations, il semble que certains aspects fondamentaux de la performance persistent à être maintenus dans une forme d’ignorance (volontaire ou pas).

D’une part, considérer la personne en face dans sa globalité et, d’autre part, attribuer à cet individu des moments de pause dignes de ce nom, sont deux aspects trop souvent oubliés dans la prise en charge sportive des individus.

 

L’individu global

Par exemple, la pratique d’activités sportives d’ultra-endurance restant marginale, on s’attendrait à ce que les gens qui se lancent dans un ultra en sortent indemnes en majorité… Une brève recherche sur votre navigateur favori vous convaincra du contraire : entre 25 et 50% des participants aux courses de sentier de longue distance ne franchissent pas la ligne d’arrivée2, en dépit d’une moyenne de 7,6 années d’expérience dans le monde de la course3.

Face à des (parfois) néophytes enhardis, les entraîneurs et kinésiologues que nous sommes tenterons plutôt la voie de la pédagogie, mettrons des freins, favoriserions une progression cyclique plutôt que de pousser nos ouailles vers un plus grand volume d’entraînement. Par exemple, évaluer avec lucidité les capacités des individus de s’entraîner sur des objectifs ambitieux en dépit de vies déjà très remplies, est une base sur laquelle nous ne dérogerions pas.

À ce titre, penser les sportifs amateurs en tenant compte de toutes leurs activités journalières (le travail, les tâches quotidiennes, le cinéma, la balade à vélo du dimanche, l’après-midi de magasinage, tout) est un pas en avant vers la prise en charge « globale » des individus.

De la même façon qu’un syndrome de surentraînement est multifactoriel4, on en appelle à prendre tous ces facteurs en compte non plus à la fin, lorsqu’il est déjà trop tard et que la personne est trop fatiguée. Ainsi, tous ces aspects seront pris au départ, lors de la planification de l’entraînement.

 

« Périodiser » son quotidien

Et surtout, une certaine idée néolibérale voudrait que le temps passé à ne rien faire serait synonyme de perte de temps. Enthousiasmés par l’énergie des débuts, certains débutants brûleraient la chandelle par les deux bouts, accumuleraient les défis ou s’entraîneraient sans prendre en compte un des aspects les plus importants de la progression en entraînement : la récupération.

« Avec les années, nous nous sommes rendus compte que les pratiquants étaient plus ou moins outillés pour progresser », souligne Alain Dufort. L’entraîneur a donc mis au point le programme d’entraînement Boutique Courir, un plan d’entraînement gratuit et accessible pour celles et ceux qui veulent (re)commencer à courir du bon pied.

 

Vers une meilleure compréhension de notre corps

Autrefois réservée aux sportifs élites, la périodisation d’entraînement – soit la planification d’entraînement optimisée qui administre une charge à l’athlète en fonction de ses objectifs, ses résultats d’évaluation à l’effort, de ses activités connexes et de ses facteurs de stress, etc. – se remet tranquillement en question5.

Jadis réservée aux professionnels de l’entraînement, l’idée de rendre ce savoir plus accessible à tous et toutes pourrait mener à une meilleure compréhension des systèmes qui régissent nos corps, une plus grande autonomie dans nos pratiques et une plus grande longévité dans l’activité physique.

En attendant que tout ce beau monde se mette d’accord, nous ne saurions vous dire avec plus d’insistance : reposez-vous bien!

 

 

Par : Ariane Patenaude, B.Sc Kinésiologie 

Sources :
Le surentraînement est une condition associée à un débalancement entre entraînement et récupération vécu sur une longue période. Traduction libre de « Overtraining syndrome (OTS) is a condition associated with a long-term imbalance between training and recovery » – Lehmann MFoster CKeul J. « Overtraining in endurance athletes: a brief review »Med Sci Sports Exerc1993;25(7):854862. PubMed ID: 8350709
2 Recherche pas du tout exhaustive. Néanmoins, les chiffres d’abandon oscillent autour de 25-50% en fonction de la course. Ce sujet nécessiterait un texte à lui seul et avec lui l’énumération des causes qui peuvent être à l’origine desdits abandons. L’idée ici n’est pas de remettre la totalité de la cause sur la mauvaise préparation des coureurs, mais plutôt pointer sur l’aspect cet aspect comme l’un de ceux sur lesquels on a le plus de contrôle et par lequel l’abandon pourrait être évité. Parmi les titres qui nommaient des statistiques :
  • « Sur un ultra-trail, le taux d’abandon se situe habituellement entre 25 et 50 % » : BENOÎT, Simon, « Petit guide de l’abandon : les signes à reconnaître pour s’arrêter au bon moment », dans Distances+, 06/09/2017, disponible en ligne : https://distances.plus/entrainement/petit-guide-de-l-abandon-dans-un-ultra/ [consulté le 15/06/2023].
  • « Sur le 125 km, 137 personnes ont décidé d’arrêter avant la fin sur 268 (près de 52 % d’abandons). Sur le 80 km, on a constaté 92 abandons sur 245 partants (38 %) contre 88 DNF (Did Not Finished) sur 380 sur le 65 km (23 %) » : BROUSSEAU, Fred, « Résultats Ultra-Trail Harricana du Canada 2022″, dans Trails, 14/09/2022, disponible en ligne : https://www.trails-endurance.com/actus-trail/resultats-ultra-trail-harricana-du-canada-2022 [consulté le 15/06/2023].
  • 2022. Le taux d’abandon de l’OCC est de « 11% », celui du CCC est de « 18% », celui de l’UTMB est de « 31% » et celui de la TDS est de « 39% » : « Le taux d’abandons de l’UTMB et de la TDS est ÉNORME cette année! », dans U-Trail, 29/08/2022, disponible en ligne : https://www2.u-trail.com/le-taux-dabandons-de-lutmb/ [consulté le 15/06/2023].
3 Knechtle, B. (2012). Ultramarathon Runners: Nature or Nurture?, International Journal of Sports Physiology and Performance7(4), 310-312. Retrieved Jun 15, 2023, from https://doi.org/10.1123/ijspp.7.4.310
4 Le Collège Européen en Sciences du Sport (ECSS) et le Collège Américain de la Médecine du Sport (ACSM) se rejoignent dans la définition du syndrome du surentraînement (OTS – overtraining syndrome), Meeusen et al. (2013) mettent l’emphase sur la pertinence du mot syndrome afin d’exprimer le caractère multifactoriel du surentraînement. Indépendamment de la terminologie utilisée, l’entraînement n’est généralement pas considéré comme le seul facteur mis en cause dans le développement du syndrome. D’autres aspects, tels qu’une nutrition inadéquate, une maladie, des facteurs psycho-sociaux stressants, peuvent mener à une mauvaise adaptation, accompagnée d’une baisse de performance prolongées et inexpliquées. Traduction libre de : « In a European College of Sport Science (ECSS) and the American College of Sports Medicine (ACSM) joint consensus statement on OTS, Meeusen et al. (2013) emphasized the use of the term syndrome to express its multifactorial etiology. Regardless of the terminology used, training is not generally regarded as the sole causative factor. Other factors—such as inadequate nutrition, illness, and psychosocial stressors—also lead to prolonged maladaptation with prolonged and inexplicable underperformance« . – Birrer, D. (2019). Rowing Over the Edge: Nonfunctional Overreaching and Overtraining Syndrome as Maladjustment—Diagnosis and Treatment From a Psychological Perspective, Case Studies in Sport and Exercise Psychology3(1), 50-60. Retrieved Jun 15, 2023, from https://doi.org/10.1123/cssep.2019-0006
5 Strohacker, K., & Beaumont, C. T. (2020). The Shared Criticisms of Periodization Models and Behavior-Change Theories for Exercise: An Opportunity for Collaborative Advancement?, Kinesiology Review9(2), 170-178. Retrieved Jun 15, 2023, from https://doi.org/10.1123/kr.2019-0051
Photo en-tête:  Imagesource   Photo article:  Tymoshchuk   Pierluigipalazzi