Pour faire du sport, nous avons mis en lumière l’importance d’être confortable… Autrefois corset étouffant, le soutien-gorge représente à la fois un vecteur de confort et de l’émancipation des femmes… Or, depuis quelques années, des voix se font entendre pour remettre en question le nécessité même d’en porter un, tout court…
Pour répondre à cette question, on est tentés de dire que oui, mais dans les faits, c’est un peu plus compliqué…
Dans un article très intéressant combinant les références historiques et médicales, le Dr Gros (ça ne s’invente pas) nous éclaire sur le statut implicite du soutien-gorge, si flagrant qu’on en oublie qu’il existe, celui de « marqueur de l’identité sexuée »4… Autrement dit, on le porte pour se conformer aux normes sociales de genre. Par exemple, les jeunes filles pré-pubères le portent pour « faire femmes », tandis que d’autres l’arborent avec du rembourrage5 pour augmenter leurs attributs, de la même manière que certains hommes portent des sous-vêtements qui augmentent la forme de leur pénis6.
Rappelons tout de même que l’objectif autoproclamé du soutien-gorge est de « soutenir les seins »7, une « vocation » que nous pourrions certes contester dans la vie de tous les jours (à qui, à quoi sert-il que les seins défient ainsi la gravité, plus haut que leur port naturel?)… Néanmoins, lorsqu’on parle d’activités physiques à impacts forts et répétés, la capacité d’un soutien-gorge de maintenir les seins en place fait presque l’unanimité.
Du point de vue biologique, les ligaments de Cooper et la peau, principaux supports mammaires, remplissent leurs fonctions au mieux, mais ont du mal à résister aux variations de poids induites par les régimes de type « yo-yo », les grossesses et autres facteurs de vieillissement. En outre, contrairement à la pensée populaire, renforcer les pectoraux n’aurait malheureusement pas d’effet sur la tenue de la poitrine8… Résultat : un affaissement graduel de la poitrine avec les années et dont l’ampleur n’est due qu’à la qualité des gènes de celle qui la porte.
La chute des seins serait donc un événement graduel naturel et sans douleur pour les femmes et, découvre-t-on, il pourrait même être accéléré par le port du soutien-gorge… Celui qui jette le pavé dans la mare est un médecin du sport, Jean-Denis Rouillon. Pendant plus de 16 ans, il mesure les seins de 130 patientes volontaires et débouche sur un article concluant que « médicalement, physiologiquement et anatomiquement, les poitrines ne récoltent aucun bénéfice à être privés de l’effet de la gravité. Au contraire, elles s’affaissent avec une brassière »9.
Si les seins, dit-il, « peinent à se soutenir tout seuls »10 au-delà d’une certaine taille, c’est parce que les filles qui commencent très tôt à porter un soutien-gorge ne permettraient pas aux tissus de soutien de se développer correctement. En prenant du poids, les seins deviendraient incapables de se soutenir tout seuls, requérant donc le port du soutien-gorge et créant du même coup une sorte de « dépendance »11. Face au boum social et économique qu’une telle déclaration puisse provoquer, Rouillon ne manque pas de signifier que son échantillon de femmes, peu représentatif de la population en général, appelle à de plus amples recherches sur le sujet.
En parallèle, Laetitia Pierrot produit une thèse de doctorat qui vient combler les lacunes de Rouillon en s’intéressant spécifiquement aux femmes sportives. Menée sur un an, l’étude préliminaire12 produit des résultats impressionnants, révélant un processus d’adaptation des tissus mammaires en réaction aux impacts répétés. Ces « fibres de tension réagiraient à l’étirement au sein même de la cellule, en réponse à la tension engendrée » par le mouvement13.
Est-ce suffisant pour dire à toutes les femmes de jeter leur soutien-gorge aux poubelles?
Même si rien ne présuppose de la nécessité de porter un soutien-gorge dans la vie de tous les jours, celui-ci aurait, auprès les femmes à plus fortes poitrines, une utilité difficilement réfutable pour lutter contre les douleurs induites par le mouvement des seins lors des activités sportives.
Dans la soupière, deux gros morceaux : le type d’activité et la taille des poitrines mesurées. En effet, si les petits seins s’en sortent plutôt bien dans l’expérience de Rouillon, les effets d’une absence de soutien-gorge auprès des poitrines volumineuses sont trop peu vérifiés. De plus, l’étude de Pierrot est une étude préliminaire et appelle à une plus grande investigation, notamment sur les activités de forts impacts.
En somme, avant de reléguer les soutiens-gorge aux oubliettes, il vaudrait mieux pour les femmes concernées de prendre leur mal en patience et de garder leurs habitudes, celles qui ont déjà prouvé leur efficacité et qui leur conviennent personnellement.
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Sources :
4 Gros, D. « Hauts les seins? », dans Psycho Oncologie (2013) 7: p.259. Disponible en ligne : [https://doi.org/10.1007/s11839-013-0435-1].
5 D’où la bonne vieille expression des soutien-gorges « paddés », anglicisme du mot « padded ».
6 Les célèbres slips « Wonderjock« , popularisés aujourd’hui par la marque aussieBum, en sont un bon exemple.
7 Gros, D. « Hauts les seins? », dans Psycho Oncologie (2013) 7: p.259. Disponible en ligne : [https://doi.org/10.1007/s11839-013-0435-1]. Dans le camp des femmes « pudiques », on plaide que « sans lui […], les seins bougent, leurs pointes saillent, ils attirent le regard », tandis que du côté de ceux qui souhaitent l’éradiquer, on dénonce « les formes qui s’accentuent et s’affirment dans le champ du regard d’autrui »… Autant de préoccupations provenant des personnes qui regardent et non pas de celles qui le portent.
8 Thierry Adam, « Gynécologie du sport », 2012, Editions Springer-Verlag, Paris, p.306.
9 Jean-Denis Rouillon, cité par Ben McPartland, dans « Author of breasts study : more research needed ». Dans The Local, 11 avril 2013. Consulté le 6 août 2019, en ligne : [https://www.thelocal.fr/20130411/women-doubt-controversial-french-bra-study#.UWarJMqwRqk].
10 Gros, D. « Hauts les seins? », dans Psycho Oncologie (2013) 7: p.259. Disponible en ligne : [https://doi.org/10.1007/s11839-013-0435-1].
11 Thierry Adam, « Gynécologie du sport », 2012, Editions Springer-Verlag, Paris, p.309.
12 L Pierrot, Evolution du sein après l’arrêt du port du soutien-gorge : étude préliminaire longitudinale sur 33 sportives volontaires (2003).
13 Commentaires de Rouillon, à propos de l’étude de Laetitia Pierrot, dans Thierry Adam, « Gynécologie du sport », 2012, Editions Springer-Verlag, Paris, p.308