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Dossier soutiens-gorge:
Du corset à la brassière de sport

On a tous vécu ce genre de désagrément… C’est le petit « Cling! Cling! Cling! Cling! » des clés qui sautent et se tortillent dans votre poche arrière, le pendentif au cou, au poignet, aux oreilles, qu’on a omis d’enlever avant de courir, qui se transforme en supplice de la goutte d’eau au fil des kilomètres… Parfois, on arrive à l’oublier : la grande nuisance des premiers instants, ce son ou ce sentiment désagréable du bijou qui virevolte, finit par disparaître sous le flot de nos préoccupations du moment…

Mais parfois, ça ne marche pas… Ce truc qui ballote de droite à gauche, ça nous titille, ça vient nous prendre jusque dans les tripes. On songe carrément à arrêter, virer de bord et retourner à la maison, tout simplement parce que l’inconfort devient une véritable nuisance. Pour vous messieurs, c’est la raison pour laquelle un short de course ne saurait se concevoir sans un boxer interne pour maintenir vos bijoux de famille en place, ou pour vous mesdames, un soutien-gorge ne saurait être apprécié que s’il empêche Lolo et Lola de partir dans tous les sens…

Parce que le confort est une variable essentielle en course, nous investirons aujourd’hui le monde des soutiens-gorge de sport qui, en partie grâce à la mode de l’ « athleisure » des dernières années, offre un plus grand éventail de matières et de technologies aux femmes désireuses de bouger librement et sans arrière-pensée.

 

Du corset… à la brassière* de sport

Tout d’abord, un bref retour en arrière. L’image véhiculée de la femme du XXIe siècle, professionnelle, multitâches, égalitaire, indépendante et sûre d’elle, ne ressemble en rien à celle d’il y a deux cents ans… En effet, la figure féminine du XIXe siècle, si elle faisait partie des privilégiées pouvant s’offrir le luxe de faire du sport, était littéralement pressurisée à cause de son corset la compressant de la poitrine jusqu’aux hanches.

 

 

Le corset, à part contraindre les femmes physiquement et socialement, a deux fonctions… La première, maintenir, selon des standards de beauté bien précis, « la constante peut-être la plus stable et la plus importante de l’histoire : 0,70« ¹ , soit la largeur de la taille par rapport à la largeur des hanches. Les reines de beauté, les stars et comédiennes… aucune d’entre elles n’échappe à cette règle, puisque « la moyenne des corsets s’élève à un ratio de 0,72 ». La deuxième fonction du corset est de « soutenir, du bas vers le haut, la poitrine féminine », encore une fois, objectif purement esthétique, reléguant au statut d’anecdotique la notion de confort!

Bien qu’on assiste à l’arrivée du premier « corset de sport » en 1911 (Phillips et Phillips, 1993, p.138)², les premiers changements arrivent au début du XXe siècle avec la montée en popularité du sport. Certaines pratiques comme la bicyclette se démocratisent. La natation, le tennis et le golf, sans oublier la danse dans les années « folles », ont tôt fait d’enflammer les jeunes générations, amenant avec elles de nouvelles matières textiles pour le bonheur des nouvelles pratiquantes.

Avec le soutien-gorge, le maintien de la poitrine ne provient désormais plus du bas, comme avec le corset, mais du haut, grâce à l’ajout des bretelles. En dépit de toutes ces innovations, il faut tout de même attendre le boum sportif des années soixante-dix pour enfin trouver un sous-vêtement confortable et spécifique aux activités sportives. Les coureuses Hinda Miller et Lisa Lindhal créent en 1977 un prototype de soutien-gorge de sport, popularisé sous le nom de JogBra³. Les ventes explosent et peu à peu, la pratique sportive au féminin se démocratise.

Brandi Chastain, lors de son but décisif en Coupe du Monde de football féminin en 1999. Photo : New York Times
Brandi Chastain, lors de son but décisif en Coupe du Monde de football féminin en 1999. Photo : New York Times

Avec le temps, les femmes prennent conscience de la possibilité de pratiquer leur sport sans contraintes physiques et sociales, au travers de moments forts, comme celui du match opposant les Etats-Unis à la Chine, lors de la finale de la Coupe du Monde de football féminin en 1999. L’événement attire une foule record, mais il est surtout immortalisé par une action de Brandi Chastain en tirs au but. Après sa balle gagnante, l’athlète retire son maillot et le fait tourner au-dessus de sa tête, dévoilant sa brassière de sport noire. Ce moment, au-delà de l’immense publicité que s’offre la compagnie productrice de ces soutiens-gorge de sport, marque un tournant dans l’esprit collectif : une femme forte, à l’égale de l’homme, exprime sa joie et sa fierté dans l’exhibition de son corps, outil par lequel elle accède à la victoire. Et sur ce corps, le vêtement qui lui permet d’être confortable dans son sport…

Il n’en faut pas plus pour faire éclater la bulle de l’industrie. La brassière de sport, élément confortable et socialement acceptable, représente un des symboles de l’accession des femmes au sport.

 

 

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* Bien que le terme provienne du mot anglais « bra », né du terme original de « JogBra » breveté en 1977 par Hinda Miller et Lisa Lindhal, l’utilisation du mot « brassière » dans le texte n’a pour fonction que d’alléger celui-ci. 

 

Sources :

1 Hervé Dumez.  » La femme, objet d’innovation », dans Gérer et Comprendre, Juin 2005, No 80, pp. 35-41. Disponible en ligne : [http://www.annales.com/gc/2005/gc80/035-042dumez.pdf]
2 Jaime Schultz, « Discipline and Push-Up : Female Bodies, Feminity and Sexuality in Popular Representations of Sports Bras », dans Sociology of Sports Journal, 2004, 21, p.189. Human Kinetics Publishers, Inc. Disponible en ligne [https://journals.humankinetics.com/view/journals/ssj/21/2/article-p185.xml]
3 Ibid, p.189.

Pour aller plus loin :

[ ] Suzanne Lareau, Le sport et Ies femmes : une réflexion à peine amorcée, dans Canadian Woman Studies I Les cahiers de la femme, pp.7-10 [https://cws.journals.yorku.ca/index.php/cws/article/download/13842/12895]
[ ] Jean-Pierre de Mondenard, « La femme peut-elle dépasser l’homme? »,  Culture technique, 1985 -documents.irevues.inist.fr, p.159. Disponible en ligne : [http://documents.irevues.inist.fr/bitstream/handle/2042/31668/C&T_1985_13_159.pdf?sequence=1]
[ ] Bowles KA, Steele J, Chaunchaiyakul R, « Do Current Sports Brassiere Designs Impede Respiratory Function? », dans Medicine & Science in Sports & Exercise. Septembre 2005, 37(9):1633-1640. Disponible en ligne : [https://journals.lww.com/acsm-msse/fulltext/2005/09000/Do_Current_Sports_Brassiere_Designs_Impede.26.aspx]