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La durée de vie des chaussures de course [1/3]

Parmi les nombreux questionnements existentiels qui grouillent dans la tête de nos esprits de coureurs*, j’ai nommé la durée de vie des chaussures de course. C’est l’une des interrogations qui reviennent le plus souvent en magasin dans ce qui détermine le choix d’une paire plutôt qu’une autre.

Avec le temps, nous nous sommes rendus compte que cette question, loin d’être claire ou sujette à une seule réponse, demandait à être appronfondie…

En effet, même si pour quelques catégories à part, comme les chaussures de compétition1 ou d’entraînement rapide2, la question se pose moins (ou pas3), vous êtes en droit de vous demander si les chaussures conçues pour l’entraînement « de longue durée » tiendront longtemps sous vos pieds, avant d’être reléguées à notre service de récupération.

 

 

Combien de temps vont-elles durer?

Dans cette série de textes, nous tenterons de comprendre les différents facteurs qui influencent la durée de vie des chaussures de course, éternelle question qui nous taraude au moment de faire le choix final.

Nous apprendrons que la durée de vie des chaussures de course est variable. Qu’elle dépend de facteurs externes et propres à la personne qui la porte, l’utilisation qu’on en fait, la technologie de la semelle, mais aussi de nos choix… Beaucoup plus qu’une indication un peu incomplète de temps ou de kilométrage.

 

Et la réponse est… … … … … … ça dépend!

N’en déplaise aux technocrates ici présents, il n’existe pas de réponse toute faite… D’abord, on ne soumet pas tous nos chaussures aux mêmes contraintes, conditions météorologiques, fréquence d’utilisation, etc. Ensuite, les matériaux de construction qui composent les semelles des chaussures sont en constante évolution, en plus de varier d’une compagnie à l’autre.

On peut donc dire sans trop se tromper que la durée de vie d’une chaussure de course varie autant… que son nombre d’utilisateurs.

 

Le seuil d’usure – définition

Et puis, qu’entend-on au juste par « usure » de la chaussure? C’est la question que se pose le chercheur Elliot Polomé dans sa thèse, laquelle vise à mettre au point un modèle automatisé de test d’usure de chaussures de course.

L’objectif des tests standards d’usure est le suivant : déduire d’un « seuil (nombre de pas/cycles ou de kilomètres effectués) permettant de dire que les propriétés mécaniques des chaussures ont évolué de manière significative par rapport à l’état neuf »4. Un seuil butoir donc, à partir duquel on pourrait évaluer la durée de vie d’une chaussure… Pour déterminer ce seuil, l’auteur identifie deux types de tests de chaussures de course, l’un mécanique et l’autre humain.

Le premier test, tout comme le montre l’image ci-contre, impose aux chaussures une dégradation plutôt univoque : les pieds vont dans une seule direction, sans pressions latérales qui pourraient mettre le prototype à l’épreuve sur les aspects du maintien et de la stabilité. Bien que le test respecte au plus près l’usage attendu de la chaussure, celui-ci trouve ses limites dans ce que l’on pourrait nommer « la vie », c’est-à-dire toutes les situations où l’on n’est pas en train de courir en ligne droite sur une surface parfaitement lisse… 

Une mise à l’épreuve plutôt sommaire, nous direz-vous. Et vous aurez bien raison… Le deuxième test, « au porté », consiste ni plus ni moins à faire porter des chaussures à des testeurs afin d’en mesurer la déformation dans le temps. Sauf que ce test, aussi respectueux de la réalité soit-il, est extrêmement difficile à quantifier. 

 

Un seuil peu précis

À partir de résultats d’études provenant des deux types de tests, l’auteur place sur une ligne de temps les divers « stades […] initiaux, intermédiaires, finaux », signes de « modification[s] des propriétés mécaniques »5 de la semelle identifiés par chaque étude, au-delà desquels la chaussure de course cesse d’être efficace. Les chiffres obtenus sont si disparates sur le spectre de l’usure, qu’ils ne permettent pas de statuer clairement sur un « palier clef dans la modification des propriétés mécaniques ».

Autrement dit, les études arrivent bel et bien à faire état d’un moment à partir duquel la « raideur » des matériaux va de pair avec la « diminution de la capacité d’absorption des chocs ». Cependant, les chiffres sont si variables qu’ils ne permettent pas d’isoler une tendance. Cette absence d’échelons clairs rend « impossible » l’établissement d’un « seuil précis à partir duquel les propriétés mécaniques [des chaussures de course] ont réellement évolué »6

 

 

Les corps s’adaptent

Par ailleurs, d’autres études montrent que notre corps aussi s’adapte à la chaussure portée, en plus d’évoluer avec la dégradation de celle-ci. Loin d’être anodine, cette donnée supplémentaire jette un pavé dans la mare de la recherche du seuil d’usure de la chaussure car il vient brouiller les lignes jusque dans la définition de ce seuil en lui-même : est-ce une donnée purement mécanique ou dépend-elle aussi de la forme, de l’expérience, de l’usage du coureur?

Autrement dit, le seuil d’usure des chaussures est détecté plus tôt ou plus tard, en fonction de celui qui les porte. Face à l’affaissement des semelles, les coureurs compensent parfois si bien articulairement – chevilles, genoux, hanches – qu’ils arrivent à invalider certaines études basées uniquement sur les matériaux de construction de la chaussure.

L’aspect biomécanique n’ajoute pas seulement à la complexité du calcul du « seuil » d’usure de la semelle. Il montre que celui-ci est beaucoup plus subjectif qu’on veut bien nous le faire croire. Des chercheurs en viennent même à suggérer de « choisir ses chaussures autrement que pour leur technologies de coussinage »7.

 

Bon alors on fait quoi?

Devant ce constat, la première voie de sortie semble la plus simple : plutôt que de s’écharper sur l’établissement d’une donnée scientifique qui déterminerait le point précis d’usure, peut-être y a-t-il d’autres signes à prendre en compte? 

C’est exactement ça. Les signes d’usure de vos souliers de course, nous le verrons dans les textes suivants, varient d’une personne à l’autre. Chacun peut les observer avec ses propres chaussures et sa propre pratique. 

Dans les prochains textes de ce dossier, nous vous présentons les principaux facteurs externes qui influencent la durée de vie des chaussures de course. Ces éléments vous aideront peut-être ensuite à trouver le modèle qui convienne à vos besoins et votre usage à venir. 

 

 

 

 

Par : Ariane Patenaude, B.Sc Kinésiologie

*L’usage du masculin dans le texte vise à alléger ce dernier. 
1 En anglais « racers« .
2 En anglais « light trainers« .
3 Puisque la semelle est plus petite et de ce fait moins durable.
4 Elliot Polomé. Développement d’une méthode expérimentale d’usure de chaussures. Biomécanique [physics.med-ph]. Université de Lyon, 2022. Français. ⟨NNT : 2022LYSE1102⟩. ⟨tel-04112078⟩, p.6. Disponible en ligne : https://theses.hal.science/tel-04112078/ [consulté le 12/01/2024]. 
5 Ibid. p.7.
6 Ibid. p.7.
7 Traduction libre : « The adaptation strategies to shoe degradation were unaffected by different cushioning technologies, suggesting runners should choose shoes for reasons other than cushioning technology ». 

 

Photos :
1 – Photo en-tête : 123RF Christopher Kane
2 – Boutique Courir Longueuil
3 – © Alastair Philip Wiper, « Contrôle de qualité à l’usine de chaussures Adidas », Indonésie (2017), exposition aux Champs Libres, Rennes, France, dans « Unintended Beauty, an exploration of the accidental aesthetics of science and industry » – Obtenez son livre ici : https://alastairphilipwiper.com/book/unintended-beauty-book.
4 – 123RF komokvm