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Pose du pied… un nouvel angle de perspective

Les Français ont une expression pour qualifier une situation complexe qui, à défaut de pouvoir se conclure une bonne fois pour toutes, se voit constamment apporter des éléments de réponse au fil du temps : dans ce cas-ci, on dit alors vouloir « faire avancer le schmilblick »… Dans la catégorie des « schmilblicks » notoires de la décennie, j’ai nommé la « pose du pied »! Quoi de mieux qu’une nouvelle étude pour amener de l’eau au moulin de ce magnifique sujet, qui n’en finit pas de susciter les émois de la part de la communauté sportive et scientifique! N’écoutant que son devoir, Boutique Courir – qui a bon dos – se fait l’avocat du diable. De cette étude, nous tenterons de décrypter les éléments d’information de la manière la plus objective possible, tout en rappelant au lecteur les différents éléments à prendre en compte, afin de ne pas se perdre dans la turpitude des amalgames faciles…

Ainsi, dans ce texte, il n’est pas tant question de minimalisme que de pose du pied et, bien que les deux soient parfois liés, cette dernière est prise en compte sous forme de point de départ, comme une prémisse, un fait – dans le genre de « untel est blond, unetelle est brune », et ainsi de suite – et non pas comme la résultante d’un changement de chausses ou de biomécanique. Également, à considérer sont les circonstances de l’étude, tenue dans un environnement de compétition de haut niveau, lesquelles doivent absolument être prises en compte pour se faire une tête par la suite…

 

On se lance!

La fameuse étude, intitulée « Most marathon runners at the 2017 IAAF World Championships were rearfoot strikers, and most did not change footstrike pattern », provient de Hanley et al. (2019)1 et s’attarde sur la pose du pied des athlètes de la Fédération Internationale d’Athlétisme Amateur (IAAF) participant à l’édition 2017 du marathon. Pour rappel, il s’agit d’une épreuve pliée en moyenne en 2h13min pour les hommes et en 2h32min pour les femmes, donc pas exactement le même temps qu’un marathon effectué par des coureurs récréatifs, où la moyenne oscille plus autour de 4 heures de course…

Partant du fait que les athlètes, en tentant de limiter la perte de vitesse dans la deuxième portion de la course, adoptent une posture qui optimise l’emmagasinage et le retour de l’énergie élastique des segments vers les unités musculaires et tendineuses, les chercheurs ont tenté de voir si les coureurs du marathon maintenaient la pose du pied choisie, du début à la fin de l’épreuve.

En d’autres mots, pour compenser la fatigue, les coureurs qui attaquaient initialement sur l’avant ou le plat du pied modifiaient-ils leur patron de course? Si oui, cette modification entraînait-elle une meilleure économie d’énergie ou une meilleure performance? Les coureurs ayant modifié leur patron en cours de route s’en sortaient-ils mieux que leurs adversaires?

Pariant sur le fait que plus de coureurs adopteraient l’attaque talon en fin de course, les auteurs de l’étude ont cherché à savoir s’il existait une différence entre les hommes et les femmes, en plus de comparer les données du groupe des meilleurs avec celui des moins forts dans chaque catégorie. Ils ont retenu les données de 71 hommes et 78 femmes participant au marathon, en photographiant la pose du pied aux kilomètres 8.5, 19, 29.5 et 40.

 

Vive la constance!

Contrairement à l’hypothèse de départ, selon laquelle les coureurs du marathon attaqueraient davantage sur l’avant-pied (FFS pour forefoot striking) et la mi-pied (MFS pour midfoot striking) dès le départ, la majorité des coureurs ont adopté l’attaque talons (RFS pour rearfoot striking). En effet, la proportion des coureurs en RFS n’est jamais descendue sous la barre des 54% chez les hommes et des 67% chez les femmes.

Les auteurs de cette étude prennent en compte le fait que leur cohorte étudiée ait une proportion de coureurs RFS inférieure à celle des coureurs récréatifs (60-65% comparativement à 89-86%) et pointent le facteur de la vitesse comme élément important à prendre en compte dans la stratégie de posture à adopter. Selon (Gruber et al. (2013))2 la consommation d’énergie serait plus grande pour l’attaque à l’avant-pied qu’au talon au-dessus de 14,4 km/h).

Autrement dit, si la posture à l’avant-pied et à la mi-pied est moins économique au-delà d’une certaine vitesse, il est donc compréhensible qu’une majorité de ces athlètes l’abandonnent en cours de route. De plus, s’agissant de coureurs de haut niveau, on peut s’attendre de leur part que la stratégie prise pour contrer les effets de la fatigue ait été maintes fois testée et éprouvée dans leur carrière, ce qui n’est pas toujours le cas chez les coureurs du dimanche que nous sommes…

Au sujet de l’attaque du pied, l’auteur du livre « Tread Lightly »3, Peter Larson, insistait dans un article sur la distinction à faire entre l’attaque talons des coureurs professionnels, comparativement à celle de la majorité, en se servant d’une analyse faite sur les coureurs élites ayant pris part au marathon de Boston en 2010, en tenant compte des aspects de vitesse, de positionnement et de dynamique. Il complétait ses dires dans une nouvelle publication, où il ajoutait la notion du centre de masse en course, variable plus qu’individuelle puisque propre à tout un chacun, laquelle pouvait avoir son importance sur le choix de la pose du pied comme stratégie personnelle pour repousser la fatigue en course d’endurance.

Par ailleurs, si les chercheurs observent que plus de femmes atterrissent sur le talon, la proportion de coureurs ayant modifié leur patron de course ne diffère pas d’un sexe à l’autre. Ce qui veut dire que, dans un groupe comme dans l’autre, la même proportion de coureurs et de coureuses ont changé leur posture en cours de route, et pas plus dans l’un que dans l’autre. La plus grande quantité de femmes à l’attaque talon ouvre néanmoins la porte à la question d’un avantage biomécanique de cette posture par rapport à l’attaque sur l’avant-pied et appelle à de plus amples recherches sur le sujet.

Cela dit, il est une statistique qui ne ment pas : plus de 75% des coureurs ont maintenu une posture constante pendant toute la course (FFS, MFS et RFS confondus). Si un seul homme et cinq femmes ont changé de RFS à FFS durant la course, le reste des changements de posture opérés ont eu lieu de FFS/MFS à RFS. Pour expliquer cette tendance, les auteurs évoquent le manque de bénéfices métaboliques à retirer d’une attaque à l’avant-pied, la fatigue neuromusculaire engendrée et l’utilisation des hanches et des genoux, en renfort des chevilles, dans un effort prolongé comme celui du marathon.

Sans s’épancher sur les motifs des uns de changer d’une posture à une autre, ce que ce résultat indique, c’est la capacité des athlètes élites à maintenir leur posture préférée sur la durée, comparativement aux coureurs récréatifs. Ces premiers, grâce à une préparation physique conséquente et un volume d’entraînement optimal, réussissent probablement mieux à retarder l’apparition des signes de fatigue qui prédisposent les changements de posture en course.

Sans préconiser une attaque de pied en particulier, les auteurs de cette étude suggèrent qu’adopter une approche posturale qui reflète les habiletés et la forme de chacun, serait la voie la plus adéquate. À l’attention des entraîneurs, biomécaniciens et professionnels du milieu, il n’y aurait pas de posture de course optimale en regard de la performance, d’autant plus que les athlètes ne devraient pas être encouragés à dévier de leurs voies naturelles.

Ce qu’en pense Boutique Courir

Dans cette étude, les auteurs signalent que la surface plus dure de la chaussée ait pu influencer les coureurs à porter des chaussures plus coussinées, ayant pour effet de réduire l’activité musculaire nécessaire à atténuer les chocs et permettant la sélection d’une posture optimisée pour l’économie de course (Frederick et al., 1983)4.

Ce détail est à prendre en compte dans le cas d’une course d’endurance et est d’autant plus vrai lorsqu’on se place dans la position du coureur récréatif. Car, on le rappelle, avec des moyennes de 4 heures d’effort pour la majorité des compétiteurs, ces derniers passent plus de temps que les élites sur le bitume lors d’un marathon. Pour prévenir les éventuelles blessures et compenser une préparation physique qui ne soit pas aussi au point que les athlètes professionnels, d’aucuns pourraient être tentés d’opter pour une paire de chaussures plus coussinées lors des entraînements et des compétitions sur des distances plus longues.

Enfin, comme on l’a vu chez les coureurs élites, la pose du pied n’est pas tant un facteur prédestinant de la performance, que le marqueur d’une bonne préparation physique, laquelle permet justement de garder sa technique sur toute la durée d’une course. Bien avisé est donc celui qui cultive sa posture de course préférée, en renforçant ses articulations et en quantifiant bien sa charge d’entraînement afin d’éviter les blessures. Dans le doute, n’hésitez pas à en discuter avec un intervenant qualifié.

 


Sources :
1 Hanley B, Bissas A, Merlino S, Gruber AH. « Most marathon runners at the 2017 IAAF World Championships were rearfoot strikers, and most did not change footstrike pattern », Journal of Biomechanics 92 (2019), 54-60.
2 Gruber AH, Umberger BR, Braun B, Hamill J, « Economy and rate of carbohydrate oxidation during running with rearfoot and forefoot strike patterns », J Appl Physiol 115 (2013): 194–201
3 Larson Peter, Katovsky Bill. « Tread Lightly », Skyhorse Publishing, New York, 2012, 258 pages.
4 Frederick EC, Clarke TE, Larsen JL, Cooper LB, 1983. « The effects of shoe cushioning on the oxygen demands of running ». In: Nigg B, Kerr B (Eds.), Biomechanical Aspects of Sports Shoes and Playing Surfaces. University of Calgary Printing Services, Calgary, pp. 107-114.