Se lever tôt, enfiler ses vêtements, sortir courir, nager ou pédaler pendant que le reste du monde repose encore dans les bras de Morphée… Le matin, le calme ambiant contraste avec la séance d’entraînement qui se prépare. Pour certain(e)s athlètes, rien de nouveau dans un quotidien qu’ils appliquent depuis des années… La mécanique est bien huilée : une nouvelle étape franchie avant leur prochain objectif. Au mieux, il s’agit d’un petit temps tout(e) seul(e), avec soi-même. Vers la fin de la journée, une autre séance suivra peut-être, histoire de compléter les kilomètres à parcourir dans la journée…
Mais pour d’autres, le silence des rues contraste surtout avec le tourbillon interne qui fait rage dans leur ventre. La séance de sport revêt les atours d’une guerre contre soi-même, un territoire à (re)conquérir, duquel on a été dépourvu(e) et qui se rebelle… Pour qui pense que la dépense physique est un combat avec/contre soi-même, comment conçoit-on le combat intérieur qui, au contraire, nous empêche de se lancer dans les sports sans arrière pensée? Quand la douleur nous guette à chaque pas de course, à chaque mouvement… C’est l’histoire d’une personne comme nous tous, qui a vu quelque chose se dresser entre sa passion et elle et qui a choisi de se battre pour continuer de rêver…
Pour Geneviève La Fontaine, l’entraînement est de tout temps une source de plaisir. Le dépassement de soi? Que du bonus, dans une vie passée à cent miles à l’heure. Malvoyante d’un oeil, elle bénéficie des conseils d’un entraîneur de l’équipe canadienne paracyclisme, en plus d’obtenir sa certification au Programme National de Certification des Entraîneurs (PNCE) en triathlon. Elle joint les rangs de Boutique Courir en 2015, où elle anime le bRUNch sportif dominical, en plus d’organiser une foule d’événements reliés au sport, à la nutrition et à l’acquisition de saines habitudes de vie.

Sauf qu’il y a une ombre au tableau… en 2014, tel un couperet tombe sur sa tête le diagnostic d’une maladie chronique et dégénérative du système immunitaire… le genre de chose qui vous tombe sur la tête et ne vous quitte plus. Au mieux, cela change votre quotidien pour la vie, sous forme d’inconforts et de précautions à prendre aux niveaux nutritionnel et sportif. Au pire, c’est une piqûre de rappel de tous les instants, sans mauvais jeu de mots, que ce soit en traitements médicaux ou en douleurs intestinales nous rappelant sans cesse notre condition.
De prime abord, la maladie n’inquiète pas notre boute-en-train. Elle complète son premier Ironman en 2015, mais quelque chose cloche dans son ventre… Son affection est imprévisible et atteint un stade sévère. Plus possible alors de contourner les rechutes de plus en plus fréquentes et douloureuses. « [Mon] corps décide soudainement de devoir se défendre contre lui-même. Je ne peux plus manger sans être en proie à des douleurs atroces et me vider de mon sang. Une guerre est déclarée dans mon intestin ».
S’ensuit alors un véritable chemin de croix où Geneviève tente diverses méthodes et médications. « Il y a des jours où je peine à me lever… Marcher fait monter mes pulsations cardiaques à 160 battements par minute. » La sportive dans l’âme doit se résoudre à repartir de zéro, à réapprendre à courir, un pas à la fois. D’une tentative à l’autre, la triathlonienne s’impatiente parfois et piaffe de sa semelle de course. Elle tâte le terrain à l’occasion de quelques compétitions, lesquelles s’avèrent plus ou moins fructueuses. Mais Geneviève ne perd pas espoir et reste positive. Elle décide de « donner le temps à [son] corps » :
En janvier 2018, mon corps s’est réveillé. Et j’ai pu envisager la chose. J’ai consulté mon docteur spécialiste pour être sûre. J’ai attendu avant de m’inscrire… que les entraînements me confirment également que je ne me trompait pas, que ma force, mon endurance et mon corps tiendraient le coup. Mais j’étais prête. C’était l’heure de faire un pied de nez à la maladie! J – Geneviève La Fontaine
Geneviève trouve enfin le traitement qui lui convient et, suivant l’aval du médecin, elle s’inscrit au Ironman de Mont-Tremblant, prévu le 19 août 2018. S’ensuivent des mois de préparation, essentiels à un effort soutenu entre 10 et 13 heures. Pour notre triathlonienne, le plaisir peut enfin (re)commencer…
La préparation
« Beaucoup de travail et de temps se cachent derrière cette courte journée », assure Geneviève. La triathlonienne a déjà une bonne expérience dans les trois sports que composent le triathlon, soit la natation, le vélo et la course à pied. Entraîneuse certifiée du Programme National de Certification en Entraînement (PNCE) en triathlon, elle bâtit elle-même la structure de ses entraînements en fonction de son horaire chargé et atypique. Elle consigne dans son cahier d’entraînement – véritable bijou multicolore de notes et de dessins – toutes les étapes qui jalonnent son parcours.

Le plaisir avant tout
« J’ai débuté en janvier, tranquillement, progressivement en route vers le [Ironman]!! C’est cette partie qui est la plus importante : la préparation. Il est impératif d’y prendre plaisir. »
Oui, il faut aimer ça… car si on part du principe que chaque discipline du Ironman requiert un volume suffisant d’entraînement pour venir à bout des 3,8 km de natation, des 180 km de vélo et des 42,2 km de course à pied, il faut pouvoir aligner au moins trois séances de chaque sport par semaine. Faites le calcul : minimum 9 séances pour 7 jours dans la semaine… Ça en fait, du linge sale!
Plus sérieusement, ce qu’il faut, mis à part un emploi du temps organisé au quart de tour : une détermination à toute épreuve, de l’énergie à revendre, sans oublier un soutien indéfectible de la part de son entourage… Dieu sait comme il est difficile de réunir tous ces éléments et de les tenir à bout de bras! Des imprévus jalonnent inévitablement le parcours d’un triathlonien. Spécialement lors d’épreuves aussi longues que le Ironman. Passer une journée entière à fouiller jusqu’au plus profond de soi-même pour en extirper toute l’énergie qui nous habite… Le défi d’une préparation aussi longue et ardue consiste donc aussi à faire le tri entre les différentes émotions qui nous assaillent, accepter qu’on ne peut pas contrôler l’incontrôlable et se concentrer uniquement sur ce qui l’est.
Face aux incidents sur lesquels on n’a pas d’emprise, comme « le départ retardé d’une heure, les coups dans l’eau, le brouillard, le soleil, la chaleur, les crampes, les muscles endoloris, la fatigue… », il faut savoir les accepter et les canaliser, mais savoir aussi quand le cerveau nous joue des tours. Devant les contraintes, il faut parfois « se parler, se poser les bonnes questions, trouver la réponse positive : « J’ai des crampes d’estomac »… – D’accord, tu as mal au ventre. La bonne question est « comment vont tes jambes, elles? » – Elles vont bien, alors, go! On continue de courir. On n’arrête pas. Changer l’esprit de place pour changer le mal de place. Tricher non pas avec la compétition, mais bien avec notre cerveau, c’est un art! J’ai réussi à le maîtriser pendant ma course. Cette réussite, elle est pour moi aussi importante que mon chrono. »
J’essaie de me fixer des objectifs quantitatifs, mais aussi qualitatifs.
L’entraînement à haut volume laisse beaucoup de place pour la réflexion… Philosophe, Geneviève rappelle l’importance du travail sur soi. Dans un univers où tout peut basculer à la moindre déconvenue, il est primordial de savoir relativiser : « Je ne prends jamais le départ d’une course avec un chrono comme seul objectif. C’est trop facile d’être déçue. Quand on n’est pas professionnel(le), on est là pour avoir du plaisir. C’est bien de vouloir s’améliorer, mais il y a plein de manières de devenir meilleur(e). J’essaie donc de me fixer des objectifs quantitatifs, mais aussi des objectifs qualitatifs, qui sont en lien avec ma personne et non pas avec ma performance. Et c’est tout aussi gratifiant! »
Un travail à long terme

« Impossible d’atteindre la perfection, mais on peut toujours tenter de s’en approcher! » C’est surtout vrai en triathlon, où trois disciplines se succèdent. L’expérience amène au constat que pour tirer son épingle du jeu, il ne s’agit pas de se faire puriste en natation, à vélo ou en course à pied (impossible dans une vie), mais bien de savoir aligner les trois en tenant compte de la fatigue qui s’accumule. Côté préparation, il faut maîtriser le concept de pré-fatigue et bien se l’approprier sur le terrain. Rester lucide et attentif(ve) à la bonne technique sont des bases infaillibles sur lesquelles on peut s’appuyer à l’entraînement et en compétition.
Sur l’aspect de la nutrition, indissociable de l’effort de longue durée, Geneviève insiste sur l’importance de la bonne gestion de l’alimentation. Quand on s’apprête à passer 12 heures dans l’effort, l‘ambassadrice Boutique Courir rappelle qu’il n’existe pas de formule magique et que chacun doit adapter sa propre recette à ses goûts et ses préférences alimentaires. Également, prévoir l’imprévisible, comme « une deuxième collation sur la plage si le départ est retardé en cas de brouillard », rappelle-t-elle, qui n’aurait pas dit non à un petit chandail chaud pour patienter.
À savoir s’il faut préconiser un sport plus qu’un autre, il y a autant d’alternatives que d’athlètes. Plus forte en course à pied, Geneviève s’est concentrée sur la natation en 2018, la discipline qu’elle maîtrise le moins des trois. Certaines personnes peuvent choisir de maintenir leur niveau dans la ou les disciplines dans lesquelles ils se sentent à l’aise tout en axant leurs efforts sur leurs faiblesses. D’autres personnes choisissent d’alterner les mois en priorisant la natation, la course ou le vélo. La plus grande place faite à chaque sport permet de s’y plonger pendant un moment, tandis que la rotation permet d’éviter les éventuelles blessures.
Un parcours épineux

Car il n’y a pas que des fleurs et des étoiles qui parsèment la route du triathlonien ou de la triathlonienne… Le parcours vers un Ironman implique son lot de déconvenues. À ce sujet, Geneviève parle de sa préparation au triathlon, qui atteint son plus haut volume dans les 8 semaines précédant l’événement : « La charge devient grosse, on est fatiguée… un peu sur la corde raide… Il faut tenir bon ». Pendant la compétition elle-même également, il y a des moments de solitude : « Rouler 180 km, c’est long, surtout si tu ne roules pas à 40 km/h comme moi… Par moments, ton plus proche concurrent se trouve à 12 mètres de toi, il n’y a ni supporteur, ni musique, le soleil qui te plombe sur le dos… Tu peux te parler, chanter comme bon te semble, mais l’ennui va forcément te rattraper. Et l’ennui, pour une hyperactive comme moi, c’est dur! »
Dans les mauvais moments comme dans les bons, un sportif ou une sportive a tout avantage de s’entourer d’un noyau solide de pairs à l’écoute et compréhensifs (!)… Lors de sa préparation physique et mentale, Geneviève peut compter sur le soutien d’amis, de proches et de coéquipiers(ères) qui l’accompagnent et la suivent, une condition essentielle pour garder sa tête hors de l’eau quand les choses tournent moins bien, pour l’aider à relativiser sur les objectifs à venir et par rapport à certains aléas qui peuvent surgir sans crier gare. La triathlonienne souligne l’importance de chercher le support de partenaires dans les différents sports, comme de se joindre à un groupe de course, de vélo de natation, afin de garder ses repères et de cultiver un sentiment d’appartenance. À ce titre, elle ne manque pas de rappeler le soutien de Boutique Courir et de Brooks Running: « leur aide, leur appui et leur présence, qu’ils soient matériels ou personnels… se sentir spéciale, se sentir à sa place dans ce sport, ne jamais manquer de rien, tout cela contribue à ma réussite ».
Qu’on lui parle de vélo, de course ou même de natation, les yeux de Geneviève se mettent à briller. Le mot « liberté » revient souvent pour décrire les différentes activités sportives auxquelles elle s’adonne. En course à pied, elle parle de « symbiose avec ce qui l’entoure », de la possibilité de « penser, réfléchir, se concentrer », alors que le vélo évoque pour elle la « vitesse et la possibilité de faire partie intégrante de la scène, en comparaison avec la voiture ». Quant à la natation, Geneviève évoque le « glissement de l’eau contre sa peau » comme une caresse derrière sa nuque, qui entre en contact avec son corps qui file à vive allure… À l’entendre, le sport devient une sorte de poésie accessible au quotidien, pour peu de sortir un peu de ses habitudes et de se mettre à l’écoute de ses sens.
Geneviève est tombée dans l’Ironman en 2015. Cette deuxième compétition constitue surtout le point d’orgue d’une bataille contre son propre corps, dont les étapes à franchir s’apparentent étrangement avec celles d’une préparation au Ironman. D’un traitement à l’autre, il s’agit de monter une marche à la fois, sans broncher et sans défaillir devant la douleur : aujourd’hui, « ma vie, mon énergie… tout est presque revenu à la normale. Quatre-vingt-cinq pourcent du temps, je suis comme tout le monde, en pleine forme, et surtout hyper vivante! Je nage, je pédale, je cours! » Elle envisage maintenant la suite avec apaisement.

À une personne désireuse de se lancer dans la préparation d’un Ironman, elle signale l’importance de viser « l’équilibre dans nos vies » en effectuant en amont un travail honnête avec soi-même : évaluer, sans tricher, le temps que nous pouvons consacrer à l’entraînement, en rapport avec le temps qui nous occupe pour toutes les autres activités de notre vie quotidienne : « on a une tarte et on doit la diviser en portions, s’assurer que nous gardions de la place pour ce qui est important […]. L’entraînement est suffisamment exigeant en soi… [Il est impératif de] planifier cet équilibre avant [et de] discuter avec nos proches pour s’assurer qu’ils nous supportent, car de l’aide, on en a plus que besoin dans ce processus! »